Les enchanteresses de Lectoure

Le bon accueil qui est fait à tous les troubadours (surtout ne parlez pas de ménestrels car si ils exercent le même art, c’est ainsi qu’on les appels en langue d’oïl alors qu’ici c’est la langue d’oc qui prévaut) est connu par ces hommes qui perpétuent ainsi le savoir, les légendes, les évènements et chroniques du siècle. Ils rappellent à tous la légende et l’histoire des siècles passés car seule la tradition orale peut faire revivre ces récits. L’église étant pratiquement quand à elle la seule dépositaire des archives et documents et elle peut se permettre parfois de faire varier certains évènements au profit de la religion.

Une après-midi, alors qu’un doux soleil illuminait le ciel, la comtesse choisit de se rendre au jardin avec les dames et les pages qui l’accompagnaient. Elle demanda à l’un de ces pages, qui rêvait lui aussi de partir sur les routes, conter de belles histoires, comme le font les troubadours, de la divertir par un chant ou une histoire.

Ce page, enchanté de l’occasion qui lui était offerte s’empressa de lui obéir.

 « Savez-vous, ma Dame, que j’ai entendu une curieuse légende lorsque je suis passé par Lectoure, qui se trouve à quelques lieues d’ici.

C’est celle des « Enchanteresses qui viennent en ville les soirs de la Messe de Noël ».

C’était à l’époque où l’église était dédiée à Saint Thomas désertée alors car les habitants s’étaient réfugiés sur les hauteurs proches l’époque étant un période où de grands tourments et de grandes pilleries étaient fréquents pour le malheur de tous.

Pourtant, quels que soient les dangers, la sainte messe était dite pour annoncer la nativité de Notre Seigneur dans l’église Saint Thomas.

Lorsque commençait à se faire entendre les cloches de l’église annonçant la Sainte Messe de Minuit, de fines formes blanches pouvaient être entr’aperçues se dirigeant vers la ville basse. Mais de cela, surtout, ne vous en souciez guère, car vous êtes attendus et vous devez vous rendre, sans plus attendre, comme tout à chacun, à la messe.

Lorsque commence à se faire entendre les premiers chants dans l’église, les formes blanches se font plus précisent et elles laissent apparaitre de magnifiques jeunes filles qui viennent pour procéder à une lessive rituelle dans la fontaine Diane toute proche, fontaine qui est appelée également Fontélie.

Ces jeunes filles sont des fées, des enchanteresses.             

Elles sont toutes vêtues de fines chemises blanches, chemises faites d’un tissu si léger qu’il laisse deviner les formes élégantes de ces apparitions et qui flotte légèrement sur elles selon les humeurs du vent. Il est interdit de les regarder, rassemblées ainsi, le temps de la messe, pendant qu’elles pratiquent leur lessive rituelle rassemblées autour de la fontaine sous peine de grands malheurs à venir dans l’année à naître.

Mais l’interdiction est donnée surtout pour les jeunes hommes, qui sont tous audacieux et vaniteux, comme chacun sait, car s’ils désobéissent à ce commandement fort ancien, les téméraires regretterons amèrement leur imprudence. Ils seront changés pour l’éternité, en de tortueuses pierres blanches pour avoir osé braver l’interdit. Si vous ne craignez pas ces paroles, alors regardez autour de vous, ces colonnes que l’on trouve parfois dans les champs… Ce sont tous ceux qui n’ont pris garde aux avertissements et qui gisent là depuis de longs siècles. Regardez bien ces pierres, sur certaines on y voit encore le visage hurlant des condamnés ...

On dit aussi … qu’au petit matin … devant la porte du prieuré, on trouve une grosse bourse de cuir contenant des pièces d’or… C’est l’aumône qui est faite par les enchanteresses à monsieur le curé pour ses bonnes œuvres et pour avoir fait en sorte que la messe dure le temps de leur ouvrage et se termine après que les fées ont achevées leur lessive rituelle.

Alors, les paroissiens sortent en procession de l’église afin que les fées soient assurées que tous ceux qui sortent ainsi en chantant des psaumes demandent leur protection pour l’année à venir et les protège du malheur. »

Le page prit alors son luth qui ne le quittait jamais et d’une belle voix qui enchanta ces dames se mit à chanter :

À la claire fontaine

M'en allant promener

J'ai trouvé l'eau si belle

Que je m'y suis baignée

Il y a longtemps que je t'aime jamais je ne t'oublierai

Sous les feuilles d'un chêne

Je me suis fait sécher

Sur la plus haute branche

Un rossignol chantait

Il y a longtemps que je t'aime jamais je ne t'oublierai

Chante, rossignol, chante

Toi qui as le cœur gai

Tu as le cœur à rire

Moi, je l'ai à pleurer

Il y a longtemps que je t'aime jamais je ne t'oublierai

J'ai perdu mon ami

Sans l'avoir mérité

Pour un bouton de rose

Que je lui refusais

Il y a longtemps que je t'aime jamais je ne t'oublierai

Je voudrais que la rose

Fût encore au rosier

Et que mon doux ami

Fût encore à m'aimer

Il y a longtemps que je t'aime jamais je ne t'oublierai

« Savez-vous, ma Dame, qu’au jardin nous avons de belles roses mais depuis des temps immémoriaux, rois, guerriers et dieux se disputent cette magnifique fleur.

On dit qu'au Paradis il y avait plein de roses, toutes blanches, à l'époque d'Adam et d'Eve.

Mais voici qu’un matin de printemps ce matin-là, l’hiver ne voulant pas s’effacer pour lui laisser la place, rafraichit d'un coup la nature. Le givre se déposa sur le sol, les bourgeons dans les arbres se refermèrent pour ne pas geler et tout se figea lorsqu’un froid brouillard glissa sur les talus et dans les ornières du chemin. Pourtant, en un endroit, un cercle de verdure résista aux frimas. Là poussait un rosier qui avait des rameaux brillants comme des perles, des feuilles comme l'émeraude. Au bord de ce chemin, fleurit une rose. Et ce fut un miracle, car la fleur du rosier si fragile, si délicate, s’épanouit malgré tout. Le parfum de la rose se diffusa en une seconde sur toute l'étendue du pré, les papillons endormis voletèrent en dansant vers elle, pendant que les oiseaux arrivèrent des horizons lointains, attirés par la fragrance ensorceleuse, pour voir eux aussi, la merveilleuse tige qui dépliait sa beauté pour la toute première fois de la saison malgré le vent glacé. 

Jusqu'à midi, le rosier se para entièrement de fleurs. Les passants restaient figés sur place, levaient les mains pour se frotter les yeux, étonnés par tant de beauté, ouvraient les narines pour inhaler la bonne odeur des fleurs.  Malheureusement, cupides, ils cueillaient quelques fleurs blessant à chaque fois le rosier avec leurs couteaux.

Et puis un autre bouton fleurissait et en un clin d'œil d'autres promeneurs passaient, et il n'y en eu pas un qui ne coupa une fleur. 

Après quelques jours, le rosier n’eut plus une seule fleur et  les gens maintenant passaient indifférents.

«Et voilà», se dit le rosier, « le chardon juste à côté de moi, comme il est beau, haut, et cependant personne ne le touche, alors que pour moi, tout le monde coupe mes fleurs indifférents à mes beautés ». 

Un chardonneret qui venait à peine d'atterrir sur un rameau l'entendit « comment, lui dit-il,  quelqu'un peu-t-il toucher le chardon lorsqu'il est tout vêtu d'épines! » Alors le rosier regarda le chardon et il vit que vraiment le chardon avait des épines.

Aussi, le rosier avant de faire de nouvelles pousses  s’est lui aussi couvert d’épines, pour préserver ses fleurs.

Mais les passants sur le chemin, remplis d'envie se dépêchaient malgré tout de couper une merveilleuse fleur. À la seule différence, c’est que chacun se piquait laissant en plus une gouttelette de sang dans le piquant d'une épine. Et de l'épine, le sang s'écoula doucement dans la terre. Ses racines, nourrissant le rosier, puisèrent également le sang qui grimpa dans la tige, et, par une belle matinée, la fleur du rosier s'ouvrit toute rouge, vibrante comme le sang.

C’est la raison, ma Dame, pour laquelle les roses sont rouges. »

Pour une fleur,  j’ai fait une chanson, permettez-moi belle dame de vous l’offrir.

Savez-vous que dans la chanson originale de « A la claire fontaine » le bouquet de roses est un bouton de rose, celui que les jeunes filles doivent précautionneusement conserver jusqu’au mariage ?

La chanson prend alors un tout autre sens.